10 Feb
« Le livre des Cinq Anneaux » de Musashi Miyamoto

Introduction aux lecteurs. 

J’ai eu l’honneur et la chance de recevoir un beau livre traduit en anglais comme cadeau de Noël. Honneur, car ce livre est une traduction d’un livre ancien et que la personne qui me l’a offert compte énormément pour moi. Le livre en question est « Le livre des Cinq Anneaux (五輪書) » de Musashi Miyamoto (1) (ou des cinq roues, traduction plausible). Je ne vais pas ici me lancer dans une biographie de l’auteur, il en existe plein (2). Je vais plutôt faire une critique toute personnelle. Avant d’aller plus loin, sachez que je suis née et que j’ai grandi à Singapour, que je suis biologiquement caucasienne au 2/5, chinoise au 2/5 et malaise au 1/5. C’est important de le comprendre et de le savoir pour la suite des choses. En dehors des populations asiatiques, l’immense majorité des gens, surtout ceux du genre masculin, mettent la culture japonaise ancestrale au sommet de l’idéal civilisationnel et admirent tous ce qui vient du Japon. Cela est dû, Pour beaucoup, à la culture exportée du Japon (3), puis à la publicité des soldats américains qui stationnent encore là-bas (4), puis à de grands titres hollywoodiens, en d’autres mots, la domination culturelle nippone n’est plus à démontrer (5). Mais le côté « sexy » du japon n’est pas perçu comme tel au-delà de cette vaste bulle de fan. En Asie principalement, mais surtout en Chine, en Corée et dans les anciennes colonies de la Malaisie Britanniques, le Japon est surtout connu pour avoir fait de nombreux crimes pendant la période d’occupation de ses soldats pendant la seconde guerre mondiale, et ces crimes de guerre n’ayant pas été punis à leur juste valeur, puisque les alliés étaient déjà en mode guerre froide et qu’il fallait absolument protéger le Japon du poison communiste, sont restés comme une profonde injustice. Injustice profonde lorsqu’on connaît toute l’étendue des violences et des crimes des troupes japonaises (6). À cela s’ajoute une posture des plus méprisables du Japon et d’une partie des Japonais, quant à leur aveuglement à reconnaître leurs responsabilités à l’époque (7). Tout cela pour dire que dans ma famille maternelle, le Japon n’est pas le pays le plus coté dans les cœurs. Ceci étant dit, je ne fais pas non plus partie de ceux qui possèdent une grande rancune contre un ennemi qu’ils n’ont pas connu et à une époque tout autant inimaginable pour eux. Je n’ai aucun ressentiment profond contre le Japon et aucun ressentiment contre le peuple japonais actuel, totalement innocent des crimes passés. Seulement voilà, je ne me suis jamais intéressée à la culture nippone, mis à part un ou deux mangas d’un de mes frères ou de mon père (vaguement survolés d’ailleurs) et une ou deux séries Netflix (très bonnes d’ailleurs).

Ceux qui trouvent que la culture japonaise est vaste et grande, oublient souvent ou bien ne savent pas, qu’elle a énormément emprunté à la Chine et que l’empreinte de cette dernière est profondément inscrite dans l’ADN culturel du Japon dans de nombreux domaines et qu’elle a longtemps été tributaire de la Chine (8). Pour couper court, les deux vecteurs civilisationnels des différentes sociétés que l’on retrouve en Extrême-Orient sont l’Inde et la Chine. 

Enfin, du Japon, mon expérience, bien que petite, se résume tout de même à des faits ancrés dans mon quotidien familial : ma mère a longtemps travaillé avec des Japonais dans le domaine bancaire et y a souvent été en voyage d’affaires, les patrons de mon père sont japonais, ma mère parle couramment le japonais et nous avons déjà été en voyage au Japon, bien que je n’eusse que quatre ans à l’époque (9). Ceci en dehors de quelques lectures passées, sur différents sujets traitant du Japon. 

La floraison d'une culture guerrière: une société militarisée.

Dans la période shogunale, le Japon est une théocratie militaire, à l’image de l’empire romain, mais en beaucoup moins centralisé et beaucoup plus stable il faut bien l’avouer. La société féodale japonaise, structurée autour de la figure du guerrier samouraï, a connu son apogée entre le XIIe et le XIXème siècle. Voici un résumé de ses principales caractéristiques et de sa structure sociale hiérarchique : 

  • Empereur : figure symbolique, son pouvoir était limité. 
  • Shogun : chef militaire, véritable dirigeant du pays. 
  • Daimyo : seigneurs féodaux, propriétaires de grands domaines et à la tête de leurs propres armées de samouraïs. 
  • Samouraïs : guerriers d'élite, dévoués à leur daimyo et respectueux du code d'honneur du bushido. Plusieurs rangs sociaux et castes. 
  • Paysans, artisans et marchands : classes inférieures, mais essentielles à l'économie.
  • Les Burokumin: véritable classe d'intouchable. 

Le code d’honneur du guerrier est au centre des interactions entre les seigneurs et surtout les samouraïs. Il s’agit du Bushido, qui impose une vie basée sur la fidélité absolue à son daimyo, impose le courage devant toutes les situations, cultive l’honneur, impose la maîtrise de soi ainsi que le contrôle des émotions et une forme de stoïcisme face à la souffrance. Ah oui ! J’oubliais. Le fameux esprit de sacrifice. Dans cette société martiale, il existe un profond sentiment du beau. Les guerriers ne sont pas que des brutes sanglantes, mais aussi des amoureux des arts et de la culture. Ils pratiquent la cérémonie du thé à la japonaise (14), s’imposent un raffinement dans la société civile, aiment et pratiques la poésie ainsi que la calligraphie (15), assistent au théâtre Nô (16) et parfois, « cultive » un jardin zen, qui est surtout un lieu de méditation et de contemplation. 

Résumé circoncis de l’ouvrage. 

Le Livre des Cinq Anneaux (五輪書) ou plutôt le « Go Rin No Sho », n’est pas un roman, mais plutôt une histoire. Celle d’une vie, écrite sur toute une vie. La vie d’un guerrier. Pas une biographie, mais plutôt une sorte de traité sur l'art de l'escrime et la stratégie. Miyamoto Musashi l’aurait écrit vers 1645. Le livre est divisé en cinq chapitres, chacun représentant un élément de la cosmologie bouddhiste, ce qui est centrale ici pour ceux qui n’y connaissent rien au bouddhisme, le chiffre y est cinq est central car il représente les cinq éléments : la terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace. Donc le tout. Voici les cinq chapitres: 

  • Le livre de la terre (地の巻) : il sert d'introduction et pose les bases de la stratégie de Musashi, qui y aborde des concepts tels que la voie, l'esprit et l'importance de connaître son propre niveau et celui de son adversaire. Il utilise des métaphores liées à la construction pour expliquer les principes fondamentaux de sa stratégie. 
  • Le livre de l'eau (水の巻) : il décrit l'école de pensée martial de Musashi, la Niten Ichi-ryū (二天一流) et les fameuses techniques de combat à deux sabres qu’il aurait développé. Il met l'accent sur l'importance de l'adaptation, de la fluidité et de la capacité à anticiper les mouvements de l'adversaire. Comme l’eau. Pour ceux qui n’ont jamais pratiqué d’art martial, la fluidité est à la base de l’ensemble des règles d’engagement. Un peu comme l’eau d’ailleurs. 
  • Le livre du feu (火の巻) : qui aborde la stratégie dans un contexte plus large, notamment sur le champ de bataille. Musashi y parle de l'importance de la rapidité, de l'initiative et de la capacité à saisir les opportunités. 
  • Le livre du vent (風の巻) : Ce chapitre analyse les différentes écoles d'escrime de l'époque, leurs forces ainsi que leurs faiblesses. Musashi y critique certaines approches et met en avant sa propre méthode. 
  • Le livre du vide (空の巻) : le meilleur chapitre à mon gout, le plus philosophique aussi, qui explore la nature du vide et son importance dans la stratégie. Pour Musashi, le vide ne signifie pas l'absence de quelque chose, mais plutôt un état d'esprit ouvert et libre de toute entrave. Il permet de mieux percevoir la réalité et de prendre des décisions éclairées.

Explication critique du livre. 

Maintenant ma critique. Elle ne vient pas uniquement des faits énumérés dans mon introduction ou plutôt principalement de ma dernière phrase. Les sciences sociales occidentales, réfléchissent à la perception du monde oriental au travers de leurs prismes culturels, ainsi la manière dont la culture Orientale est appropriée, interprétée, comprise et jugée du point de vue de la rationalité occidentale, est compilé dans ce qu’ils appellent, l'orientalisme. J’adore personnellement le modèle de sociologie compréhensive de Max Weber et sa contribution à l'analyse des phénomènes religieux (bouddhisme et shintoïsme) (10) et celle de la théorie psychosociale du sociologue allemand Erich Fromm, qui perçoit la nature autoritaire de l'État et des institutions sociales (telles que la religion) comme ayant un impact sur la formation de la personnalité des gens. Pour juger les sociétés orientales, il faut inclure le spectre religieux. C’est primordial et lire un livre d’un auteur asiatique sans en connaitre la nature profonde n’avance en rien l’essai de compréhension, surtout pour le non asiatique pour qui nos sociétés sont énigmatiques et indéchiffrables. Un athée, sans cette perception du sacré, n'y comprendrais rien, même dans mille ans. Enfin, je me suis plongé dans un livre d’un éminent spécialiste du Japon médiéval et critique de l’aura construite autour du héros mythique (12). Ce mythe autour de ce guerrier me rappelle un ancien héros de la lutte ouvrière anglaise du XVIIIème siècle : Ned Ludd (13). Entre Ludd et nous, à peine deux siècles et demi et nous avons beaucoup de mal à dénouer le vrai du faux, voire à prouver son existence, pourtant à une époque et dans un pays, énormément plus scolarisé et moderne que le Japon de Miyamoto Musashi. Loin de moi l’envie d’écrire qu’il ne s’agit que d’une fable, car des éléments de preuves existent, même si un grand nombre d’entre elles sont tardives. Mais vous ne me ferrez jamais croire qu’un seul homme est tué autant d’adversaires (car c’est bien de cela qu’il s’agit), autant d’hommes, avec un sabre de bois. Ou alors, il vous faut croire à des théories fantaisistes comme celle de la terre plate ou bien cesser de lire Naruto. 

Conclusion. 

L’ouvrage n’est pas uniquement un livre de guerrier à guerrier. Il est plus profond que cela. Il accorde une grande place à la connaissance du moi, à l’adaptation, la rapidité d’exécution, la maitrise des émotions et l’importance d’une forme très aigu de développement personnel, qui pousse au but d'atteindre une maîtrise de soi absolu. Qu’il est été écrit par l’auteur mythique ou une simple invention pour bâtir un socle national importe peu, là aussi. Il bien été écrit par un guerrier ou des guerriers. Le nombre de victime, là encore, doit nous faire sortir du cadre purement humaniste occidental, car il s’agit de règles de duel féodale d’une autre époque, d'une autre culture, véridique ou pas, l’important est que cet ouvrage est profondément complexe et riche en enseignements. Sa lecture attentive et sa réflexion sont nécessaires pour en comprendre toutes les subtilités et en appliquer les principes dans sa propre vie si cela est possible. 

En résumé, sa lecture a été agréable, j’ai eu le sentiment d’écouter un maitre, mais ce ne sera pas mon livre de chevet.

Embun DH.

Notes et références.

1 : https://dcp.co.jp/meikaits/2020/09/11/%E4%BA%94%E8%BC%AA%E6%9B%B8/ 

2 : https://www.britannica.com/biography/Miyamoto-Musashi-Japanese-soldier-artist 

3 : https://www.wipo.int/en/web/wipo-magazine/articles/the-manga-phenomenon-37847#:~:text=Popular%20manga%20have%20a%20far,the%20Japanese%20economy%20and%20culture

4 : https://www.army.mil/article/92649/america_japan_exchange_culture_through_writing 5 : https://alc-atlantis.com/the-impact-of-japanese-pop-culture-on-the-global-stage/ 

6 : https://6611a6877e7c2.site123.me/blog/singapore-and-the-second-world-war 

7 : https://www.newyorker.com/news/q-and-a/how-shinzo-abe-sought-to-rewrite-japanese-history 

8 : https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_China%E2%80%93Japan_relations 

9 : connaissances primaires, soit, mais beaucoup plus développer que les touristes qui y restent 2 semaines ou bien ceux qui ne connaisses le Japon qu’au travers de Naruto. 

10 : https://revisesociology.com/2017/01/26/max-webers-social-action-theory/ 

11 : https://www.simplypsychology.org/erich-fromm.html#:~:text=Fromm%20believed%20that%20character%20in,identity%2C%20and%20frame%20of%20orientation

12: Miyamoto Musashi: A Life in Arms: A Biography of Japan's Greatest Swordsman, 2014, William de Lange. 

13: https://www.smithsonianmag.com/history/what-the-luddites-really-fought-against-264412/ 

14: à force de voir des livres et des films sur le japon, les gens au-delà de l’Asie pensent qu’il n’y a que le Japon qui possède cette forme de cérémonie, ce qui est bien évidement faux. 

15 : Formes d'expression artistique prisées par les samouraïs. 

16 : Genre théâtral traditionnel, mêlant chant, danse et musique.

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