L’école Flamande. Au cœur du Baroque et de la révolution.
Bruges, aux environs de 1420.
Un peintre du nom de Jean Van Eyck alias Jean de Bruges, s’adressait dans son atelier a un groupe d’artistes, en ces termes : « Nous continuons à peindre comme il y a100, 200, 300 ans; les préjugés et les conventions de l’époque gothique sont toujours les nôtres : nos personnages se détachent sur un fond doré, vide, sans vie, sans lien avec la réalité, avec la vérité. Voici ce que je vous propose : peignons les hommes, les femmes, les arbres, les champs, tels qu’ils sont réellement. C’est la vie quotidienne, la vérité qui nous entoure que je vous propose de peindre ». Dans cet atelier se trouvait le Maitre de Flemalle, le célèbre Van der Weyden, le jeune et brillant Petrus Christus. Tous s’efforcèrent, des lors, de peindre avec ce réalisme prêché par Jean de Bruges. Ils créèrent une nouvelle école : la célèbre École Flamande (1), dont les continuateurs furent par la suite, Bouts, Van der Goes, Memling, Bosh, Bruegel, Van Dysk, Jordaens, Rembrandt … Pour ne citer qu’eux. Que Van Eyck aidât a donné naissance à un mouvement artistique qui sommeillait et qui allait avoir un retentissement immense en Europe (2), est une chose, mais ce qui est plus important au niveau technique, c’est qu’il fit une découverte fondamentale pour la peinture, qui encore de nos jours, est à la base de la préservation.
Révolution des techniques de peintures.
Jusqu’en 1410, la technique employée par tous les artistes, que ce soit pour les tableaux et les retables, était celle de la tempéra, ou détrempe à l’œuf (3). Bien longtemps auparavant, on s’était déjà rendu compte qu’en appliquant une couche d’huile sur la détrempe à l’œuf, les couleurs, ravivés, retrouvaient l’intensité et l’éclat des premiers jours. Dans le livre « Diversarum artium schedula », écrit en 1200 par le moine Théophile (5), il était déjà conseillé d’étendre une couche d’huile d’olive sur la détrempe. Mais l’huile d’olive ne parvient pas à sécher et il faut exposer les tableaux au soleil des heures entières, voir des jours, au risque de voir la peinture se détériorer, les couleurs noircir, les blancs perdre leur intensité (5). Van Eyck trouva la formule qui alla révolutionner l’art, en mélangeant une petite quantité de « vernis blanc de Bruges » a de l’huile de lin. Il obtenait pour résultat un vernis qui séchait à l’ombre sans la moindre difficulté. Avec ce mélange, il pouvait l’employé liquide, épais, en glacis ou en nappe couvrante. Il y ajouta ensuite les ingrédients de couleurs et ces dernières pouvaient dès lors, conserver leurs intensités, sans devoir être exposés au soleil.
Composition des couleurs à l’huile.
On peut dire que les peintures d’aujourd’hui utilisent, pour peindre à l’huile, les mêmes ingrédients que ceux employés, six siècles auparavant, par Van Eyck :
La peinture à l'huile n'a pas l'exclusivité de l'emploi des couleurs aux pigments énumérés, ce sont à vrai dire des couleurs et des pigments communs à toutes les techniques servant à fabriquer toutes sortes de couleurs. Ce sont des couleurs en poudre qui, mélanger à de l'eau, de la gomme arabique, du miel et de la glycérine, nous donnent, par exemple, les couleurs à l'aquarelle. Nous obtenons avec de l'eau, des substances gommeuses et des huiles, les couleurs au pastel. Ou bien, dans le cas qui nous occupe, les couleurs broyées et liées avec des huiles grasses, des résines, des baumes et des cires deviennent les couleurs à l'huile.
Les couleurs.
Ce sont des pigments en poudre à l’époque, qui peuvent être classer en blanc, jaune, rouge, bleu et vert, brun et noir. Le classement reste identique de nos jours depuis l’avènement de l’ère industrielle, époque qui a vue l’apparition des tubes de peinture. Dans la peinture à l'huile, comme dans toute autre sorte de peinture opaque, la détrempe, ou comme dans le pastel, le blanc est une des couleurs les plus employées. Les tubes de blanc à l'huile, de nos jours, sont donc d'une taille supérieure à la moyenne. Voici un tour d’horizon des couleurs les plus employés depuis la révolution engagé par Van Eyck. Certaines ne sont plus commercialisé, d’autre ne sont utilisé que pour des travaux de restaurations, enfin, d’autre sont encore présentes dans les boutiques spécialisées.
Les Blancs.
Les plus courants sont le blanc de plomb, appelé aussi blanc d'argent, le blanc de zinc et le blanc de titane.
Les jaunes.
On peut citer comme étant d'usage courant, le jaune de Naples, le jaune de chrome, l'ocre jaune et la terre de sienne naturelle.
Les rouges.
Les Bleus et vert.
Les bruns.
Les Noirs.
Les plus connus sont le noir de fumée et le noir Ivoire.
Les liants.
L'huile de lin.
C'est une huile grasse extraite par pression à froid des graines de lin. Elle est jaune clair et sèche bien en trois ou quatre jours, elle doit être pure et propre pour éviter de noircir les couleurs. On l'utilise pour diluer et lier ces dernières. La quantité employée dépend de la structure et de la finesse de celle-ci. On l'utilise également comme dissolvant au moment de peindre. Elle intervient aussi dans la préparation des enduits, c'est-à-dire dans les préparations des toiles, des cartons, des planches, etc. Il faut mentionner également, pour ce qui est des huiles grasses, l'huile de noix et l'huile de pavot, leur siccativité est plus lente.
L'essence de térébenthine.
C'est une huile volatile d'origine végétale. Elle est blanche, transparente et répond une odeur forte et aromatique. Au contact de l'air, elle sèche rapidement par évaporation. Ce n'est pas un liant à proprement parler, mais un moyen remplaçable pour diluer les couleurs et dissoudre les baumes, résine et cire. C'est également le meilleur dissolvant des couleurs à l'huile au moment même de peindre.
Gomme mastic et gomme d’Ammar.
Ce sont des résines employées en peinture à l'huile comme vernis et diluant, qui devrait prévenir et éviter les rides, la formation d'un voile sur les couleurs et par la suite leur contraction et leur destruction au cas où la peinture sèche de l'Intérieur. Elles sont solubles au bain-marie dans l'essence de térébenthine. Mais ces vernis risquent à la longue de s'obscurcir et aussi de se voiler.
Cire d'abeille.
C'est une cire vierge, dans la peinture à l'huile, elle sert de liant aux couleurs en tubes. Elle empêche l'huile de se séparer de couleurs et élimer le risque de solidification et de dessèchement dans le tube. Elle donne à la couleur une meilleure consistance. Il suffit d'un mélange de 2% de cire fondu et d'essence de térébenthine pour obtenir ce résultat.
Les pinceaux.
« Donnez-moi, s'il vous plaît, 2 ou 3 pinceaux pour peindre » (10).
Si vous ne dites que cela, le vendeur va sortir trois grandes boîtes divisées en compartiment, à l'intérieur desquelles les pinceaux sont classés par numéro.
Les pinceaux sont en soie de porc et dans chaque boîte, il y aura un modèle particulier dont l'une ils seront effilés, dans l'autre, ils seront plats. Les pinceaux couramment utilisés pour peindre à l'huile, sont des pinceaux dites en soie de porc. Mais l'on utilise aussi pour certaines surfaces les pinceaux en soie de martre, en soie de mangouste ou en poils de bœuf. Les soies de porc sont plus dures et plus raides. Elles donnent une touche plus expressive dans laquelle il est même possible de voir, presque dans tous les cas, les sillons laissés par la pression des soies. C'est le pinceau indispensable pour les fonds et les grandes surfaces pour estomper et dégrader quelles que soient les dimensions de la surface à traiter. Les pinceaux en poilent de Martre, s'adaptent davantage à un style de peinture moins rude, où les couches colorées sont, elles, régulièrement planes. Mais ils sont indispensables aussi bien pour le dessin que pour la couleur des petites formes, pour les petits détails, pour les très fins. Dans un portrait à l'huile, par exemple, après avoir peint les lèvres avec un pinceau en soie de porc, il faudra recourir au pinceau en soie de martre pointus et ronds, pour peindre le trait correspondant à la commissure. Et à la ligne qui les sépare. Il sera également indispensable pour représenter d'un trait sombre, la ligne qui correspond au cil.
Les spatules au couteau.
Une spatule est une sorte de couteau à manche de bois et à lame d'acier flexible et non tranchante. Ceci est bien sûr une définition générale. On trouve des spatules à extrémité rondes, d'autres sont triangulaires et d'autres ont la forme caractéristique des truelles de maçon. Seule la lame est plus étroite. Dans la peinture à l'huile on utilise la spatule pour plusieurs raisons : Pour gratter la peinture encore tendre à même le tableau, pour nettoyer une surface définie, pour rectifier, pour effacer, pour nettoyer la palette une fois la séance terminée et pour peindre en se servant de la spatule comme d'un pinceau. Pour gratter à même le tableau ou la palette, il faut utiliser les spatules en forme de couteau. À la plus fine et plus souple, il s'agit de rectifier ou d'effacer à même le tableau à l'âme la plus dure, il s'agit de frotter et de nettoyer la palette.
De l’utilité dans la restauration et la certification.
La vierge à l'enfant avec les anges. Peinture gothique due à l'artiste Florentin Cimabue, vers 1272 « Musée du Louvre, à Paris ».
Cimabue, fut sans doute l'un des artistes dont les efforts pour humaniser l'art gothique donnera les meilleurs résultats. Cependant, son style reflète les caractéristiques habituelles de la peinture gothique : Personnage sur fond doré, irréel, expressions et attitudes figées, composition conventionnelle. Ces caractéristiques demeureront inchangées jusqu'à la fin du XIIIème siècle, qui marque l'entrée en scène de Giotto, grand précurseur de la peinture moderne.
Les recettes magiques de l’époque.
Avant l’ère industrielle, la fabrication de la peinture ne posait pas de problèmes en soi. Il s’agissait de diluer la couleur en poudre dans de l’huile, de la broyer dans un mortier ou à la main, même sur la pierre, en prenant soin de préparer auparavant l’huile mélangée au vernis et aux cires. C’était un travail d’artisan et d’alchimiste, qui exigeait de l’artiste beaucoup de temps. La difficulté était de trouver des produits purs, de bonne qualité ; l’artiste devait étudier une ou plusieurs formules adaptées à sa manière de peindre. Celles-ci devaient également offrir un minimum de garantie quant à leur siccativité, leur inaltérabilité, leur solidité et leur conservation future. On peut affirmer, si l’on en juge d’après le nombre de formules et de proportions connues, que chaque maître avait la sienne. Tandis que Léonard de Vinci changeait l’huile à chaque fois, Dürer employait de l’huile de noix qu’il filtrait au moyen de charbon tamisé ; le Titien employait de l’essence de lavande et de l’huile de pavot clarifiée au soleil, et Rubens est connu pour avoir peint avec du vernis de copal, de l’huile de pavot et de l’essence de lavande. La connaissance de ces recettes est de nos jours très utile pour les estimations, pour reconnaître une œuvre et l’authentifier. Par exemple, Bernardino de Scapis passe pour être un élève de Léonard de Vinci, tant ses peintures et son style sont directement inspirés par le grand maître. Cela peut être dérangeant pour comparer une œuvre qui pourrait être attribuée aux deux. Mais Scapis n’utilise pas les mêmes recettes que de Vinci.
Conclusion.
Les experts qui consultent les ouvrages spécialisés sur les techniques et les matériaux de peinture, en arrivent à conclure qu'en effet, il fallait préparer les peintures soi-même depuis l’Antiquité, jusqu’au Moyen Âge et dans d'autres époques. Mais il fallait faire preuve d'ordre pratique. Tous les documents, tous les livres du passé, lorsqu'ils nous parlent des ateliers des grands maîtres anciens, comme Goya, en passant par le Titien, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël Vélasquez, les décrivent comme une grande pièce à l'intérieur de laquelle étaient aménagés une sorte de cuisine ou laboratoire d’alchimiste, parfois tenante ou oratoire rudimentaire. L'artiste y fabriquait ses couleurs, à l'huile, à la détrempe, à la fresque. Nous pouvons imaginer, en accord avec le savant érudit Maurice Bousset (11), un laboratoire aux étagères chargées de fioles et de flacons, soigneusement étiquetés et hermétiquement clos. Nous aurions pu y lire des noms encore en usage de nos jours dans les tables de couleurs des fabricants modernes : blanc de plomb, jaunes de Naples, vert Véronèse, bleu outre-mer, près de dans des bouteilles et des pots de terre cuites, toute une gamme de liquides et de produits d'huile de vernis au nom bien familier : Huile de lin, huile de noix, gomme mastique, essence de térébenthine, cire vierge. Dans un coin, un feu et au centre, devant les étagères, une table robuste recouverte d'une plaque de porphyre. Tout près, plusieurs mortiers, des pilons, des spatules, des pinceaux, des éprouvettes graduées. La fabrication ne posait pas de problème en soi. Il s'agissait de diluer la couleur en poudre dans de l'huile, de la broyer dans le mortier ou à la main ou même à la pierre, en prenant soin de préparer auparavant l'huile mélangée au vernis et à la cire. C'était un travail d'artisan qui exigeait de l'artiste beaucoup de temps. Bien souvent, il laissait ceci à ses apprentis. La difficulté était de trouver toujours des produits purs et de bonne qualité. Ces essais et ces recherches d'artisans, tantôt couronnés de succès, tantôt voués à l'échec, se prolongèrent jusqu'à l’idée révolutionnaire de Van Eyck. Puis la révolution industrielle s'empara également du domaine de la fabrication des couleurs et des usines naquirent. D'abord modestes, il ne faut point s'étonner que ces dernières soient par manque d'expérience, soit par manque de scrupules est fabriquer de très mauvaises couleurs qui, quelques années après, jaunissaient ou noircissaient, ne toléraient aucun mélange, etc.
Malheureusement, ces débuts industriels coïncidaient avec l'un des mouvements les plus spectaculaires de la peinture moderne, l'impressionnisme. Cette manière de peindre révolutionnaire exigeait à la fois d'épaisses couches de pâtes colorées, des fonds plats, des couleurs brillantes, lumineuses. L'inévitable se produisit, les Impressionnistes employèrent ces couleurs toutes nouvelles et leur tableau servit de cobaye. Nombreux sont aujourd'hui les tableaux tachés aux couleurs altérées, peau blanche, presque jaune, au bleu qui tire sur le vert, au brun et aux ocres Noircis. Les industriels du XIXe siècle venaient de mettre fin au génie de Van Eyck par opportunisme.
Embun Rose DH.
Reference & notes.
1 : https://www.britannica.com/art/Flemish-art
2 : https://magazine.artland.com/baroque-art-definition-style/
3 : https://www.britannica.com/art/tempera-painting
4 :https://books.google.ca/books?id=wo4EAAAAYAAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
5 : https://fineart-restoration.co.uk/news/the-grand-genre-classical-history-painting-restoration/ 6:https://web.archive.org/web/20150515142422/http://www.sydneywoodturners.com.au/site/articles/finishing/oils.html
9 : une erreur classique chez les amateurs ou même, plus loin, chez les non restaurateurs et autres professionnelles de la peinture. Mais un œil expert de s’y trompe pas.
10 : l’auteure de ces lignes, est une amatrice calligraphe, qui utilise des pinceaux depuis ses 5 ans. Si j’utilise presque exclusivement des pinceaux en soie de porcs, ceux en poils dit de loup et ceux en soie de chèvre, bien que chères et rares, sont les mieux adaptés pour peintre des œuvres calligraphiques somptueuses et colorés.
11 : https://www.persee.fr/doc/linly_0366-1326_1941_num_10_10_9624