20 Apr
Singapour. Partie 1. Petite Chine ou labo multiethnique ?

Introduction rapide sur le pays. 

Août 2015, une voix proclamant l'indépendance de Singapour résonnait à la radio. Ce 9 août 2015 à 9 heures du matin exactement, comme le 9 aout 1965, la déclaration de l'indépendance de Singapour, a de nouveau été entendue dans toute la petite cité-État de Singapour sous la voix de feu Lee Kuan Yew (1). Août 2015 était un moment très significatif dans l'histoire de Singapour. C’était la signification attendue du 50e anniversaire de l'indépendance du pays par rapport à la Fédération malaise et de sa naissance en tant que nouvelle nation. Pour ceux qui ne le savent pas, Singapour, c’est une cité-État située à l'extrémité sud de la péninsule malaise en Asie du Sud-Est, elle est presque aussi grande Séoul et compte un peu moins de 6 millions d'habitants (2). Elle a connu une croissance sans précédent. Au moment de l'indépendance en 1965, le PIB par habitant de Singapour était de 516 dollars, et en 2023, son PIB nominal par habitant s'élevait à 84 714 dollars, ce qui en faisait le pays ayant le PIB par habitant le plus élevé d'Asie (3) et faisait de lui un membre du top 5 mondial. Singapour, souvent considérée comme l’un des quatre petits dragons d’Asie (4), est une réussite que personne ne peut nier. De nombreuses personnes considèrent que la clé du succès de la croissance économique et de la création de richesse de Singapour réside en grande partie dans la situation géographique du pays, dans son commerce de transit et ses exportations, ainsi que dans son système gouvernemental efficace. Pendant ce temps, les avis sur le développement de Singapour, comme une réussite asiatique, sont partagés, certains affirmant avec véhémence que la gouvernance sociale « contrôlée » est à l'origine de la croissance économique du pays, y compris la dictature, les amendes et la flagellation. Bien entendu, ces deux perspectives ne sont pas loin de la vérité et constituent des affirmations qui peuvent être fondées sur suffisamment de preuves pour les étayer (5). Avant d’aller plus loin, il faut savoir que Singapour est une nation multiethnique et multiculturelle où la société civile est organisée selon le système de catégorisation raciale appelé CMIO (Chinois-Malais-Indien-Autre) (6). Bien que les Malais soient reconnus comme la communauté autochtone du pays (7), 75,9 % des citoyens et des titulaires de visa de résident permanent sont d'origine chinoise, les Malais et les Indiens représentant respectivement 15 % et 7,5 %. Ensemble, les trois plus grands groupes ethniques représentent 98,4 % de la population citoyenne. Les 1,6 % restants comprennent des membres des races dites « Autres », qui comprennent en grande partie des Eurasiens/Eurasiennes comme moi (8). Malgré un titre de résidence à long terme, Singapour exclut 29 % de la population comme non-résidents aux fins des statistiques. Il est extrêmement complexe d’obtenir la citoyenneté singapourienne. Vous pouvez devenir citoyen de Singapour en épousant un citoyen/citoyenne, en travaillant dans le pays ou en créant une entreprise. Vous devez être résident permanent ou marié à un citoyen depuis au moins deux ans. Les étudiants demandant la citoyenneté doivent vivre à Singapour depuis plus de trois ans et réussir au moins un examen ou un programme national. Mais en réalité, c’est beaucoup plus complexe. Le pays cherche à garder son harmonie ethnique et religieuse et ne donne pas aussi facilement le Singpass (9). Comme le pays ne reconnait pas la double citoyenneté, il faudra lui apporter la preuve que vous avez renoncé à votre citoyenneté d’origine, un pas que refuse de faire l’énorme majorité des possibles futurs citoyens (10). Officiellement, les Singapouriens métis sont souvent considérés comme ayant la race de leur père. Cependant, la catégorisation raciale, par exemple sur la carte d'identité d'un individu, peut également refléter les deux ethnies de ses parents ou bien si les parents possèdent plusieurs origines reconnues par le système CMIO, inscrivent leur progéniture dans la race de leur choix (11). Enfin, être citoyen singapourien t’offre des tonnes de privilèges qui vont du logement, aux prêts hypothécaires en passant par les immatriculations de voiture et l’enseignement. Et croyez moi, ce sont de grands privilèges (12). 

Les religions. 

Singapour est le pays le plus diversifié au monde du coté religieux (13). Mais attention, comme pour beaucoup de choses, on ne plaisante pas avec cela au pays ! Tu es libre de pratiquer ta religion en privé chez toi, en public dans tes lieux de culte, d’organiser des processions, de porter des signes distinctifs même au travail. Un musulman peut prier pendant ses pauses dans une salle libre chez son employeur, demander de pratiquer la prière du vendredi a la mosquée, mais vous ne trouverez personne prier dans la rue comme cela se passe dans certaines rues en occident. Sous l’égide de l’IRO (14), l’état garde une neutralité « bienveillante » sur les questions religieuses, interdit le prosélytisme et impose l'égalité interconfessionnelle, permettant ainsi à chacun de pratiquer sa propre foi. Il n’y aura aucun responsable religieux formé a l’étranger et les discours anti confessionnels ou anti religieux, sont sévèrement punis (15). Un chrétien ne peut insulter ou critiquer un musulman et un musulman ne peut insulter ou critiquer un hindou. La loi interdit également d’imposer son culte ou un code vestimentaire. Une personne qui souhaiterait devenir athée est protégé par la loi. Tout comme une personne qui souhaiterait changer de religion. D’ailleurs, 20% des habitants du pays se disent sans religion (16). 

Pour comprendre, Singapour est une société d'immigrants. Différentes races ont leurs propres langues, cultures, religions et valeurs, formant une famille multiraciale, une société pluraliste rare et un grand jardin religieux coloré. Singapour rassemble toutes sortes de personnes de partout. Outre le bouddhisme, le taoïsme, l'islam, le christianisme, l'hindouisme, le jaïnisme et le sikhisme, Singapour possède également des adeptes du judaïsme et du zoroastrisme. Les nombreuses religions ont créé une diversité de croyances religieuses parmi les Singapouriens. Dans de nombreux pays et régions du monde, les différends et les conflits entre plusieurs religions ont conduit à de fréquents conflits et guerres sanglantes. Cependant, la situation à Singapour est différente. Depuis l'indépendance en 1965, Singapour n'a pratiquement connu aucun conflit religieux. et les groupes se respectent et vivent en harmonie sous la contrainte de la loi ! Ce qui est intéressant, c'est qu'il existe des phénomènes de fusion entre différentes religions et cultures. Par exemple, l'Empereur de Jade et le Seigneur Bao peuvent vivre sur le même autel qui est dédié au Patriarche; Bodhidharma, le Roi Singe, Jigong et Bao Gong ont également des temples. Les Malais croient en l'Islam, mais certaines d'entre elles vénèrent le dieu antique Datuk. Il y a aussi l'église de la Trinité de Putian, qui combine les trois religions du « confucianisme, du bouddhisme et du taoïsme » et l'Église De, qui combine les cinq religions du « confucianisme, du taoïsme, du bouddhisme, du christianisme et du Hui ». La tolérance et l'harmonie sont les caractéristiques des relations religieuses à Singapour.

Tour rapide des religions à Singapour. 

Le taoïsme.

Fondé par Lao Zi à la même époque que le confucianisme il y a environ 2500 ans. Outre les concepts de voie et de vertu, l'absence d'action (wu-wei) et le retour des choses à l'origine en sont les deux principales idées. Ici, l'homme doit se mettre à l'écoute des rythmes de l'univers et vivre en complète harmonie avec la nature. 

Le confucianisme.

Fondé en Chine par Confucius il y a environ 2500 ans, le confucianisme a eu (et garde encore) des répercussions importantes dans la civilisation, la culture, et les mentalités des Chinois hors continent et continentaux. Peux le savent, mais ses influences se font sentir évidemment en Chine, mais également dans d’autre pays asiatiques comme le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon. La base de cette doctrine est une forme de morale. L'éthique humaine, sociale et politique est basée sur le respect d'un code moral, avec des lignes de conduite (Li), qui constituent un cadre dans lequel les hommes peuvent exprimer leur personnalité. On peut ainsi citer parmi les points essentiels du confucianisme: 

  • L'humanité (ren). C'est l'ensemble des comportements que vous devez respecter dans les relations humaines. On y trouve les liens indissociables entre père et fils, la loyauté entre maître et sujet, la discrimination entre homme et femme, le respect des anciens, la confiance entre amis. 
  • La relation (guanxi). Ce terme désigne à la fois votre réseau et chacune des personnes qui en font partie. Nous le décrirons plus précisément dans le chapitre sur le monde chinois, mais il est nécessaire de souligner dès maintenant l'importance du réseau. 
  • La face. C'est à la fois le prestige social (mianzi) et la confiance de la société dans l'intégrité morale et sociale d'un individu (lian). On peut aussi mettre en avant les règles suivantes qui découlent de ces principes: 
  • Les dirigeants du pays doivent être les plus compétents. 
  • Chaque membre de la société joue un rôle qui, s'il est accompli convenablement, induit une société plus juste. 
  • Les réussites personnelles sont subordonnées à celles du groupe.

Le bouddhisme.

Résumer une philosophie ou une religion partagée par des milliards d'êtres humains est inconcevable. Le bouddhisme possède de nombreuses variantes et est aujourd'hui en forte croissance en Occident. Voici les éléments du bouddhisme à saisir : 

  • L'impermanence. Si les mondes judéo-chrétien et arabo-musulmans vivent dans un monde de permanence (une chose vraie aujourd'hui le sera également demain), le bouddhisme s'attache à montrer l'impermanence du monde. 
  • La souffrance. Notre vie est souffrance, essentiellement parce nous sommes dans l'attachement, qui est principalement causé par le refus de l'impermanence. 
  • La vacuité. Pour le bouddhisme, les choses et les êtres vivants n'ont pas d'existence intrinsèque mais n'existent que par et dans l'interaction avec les autres et le reste de l'univers. Voilà ce qui explique en partie l'importance du groupe en Asie (avec l'influence du confucianisme). 

L'hindouisme et les autres religions indiennes. 

L'hindouisme est, de loin, la religion la plus répandue en Inde, mais on la retrouve également dans des pays où il y a une présence indienne, tels que Singapour et la Malaisie. L'hindouisme est également présent en Indonésie, tout particulièrement à Bali, seule partie du pays où cette religion est majoritaire, le reste du pays étant musulman. J’adore la vision de l’hindouisme, que j’ai longuement étudiée sans me convertir. On peut mettre en avant les caractéristiques suivantes de l'hindouisme: 

  • La responsabilité individuelle. Chacun vient à la vie avec son dharma à accomplir, sa mission sur terre. Chacun accepte les données de sa destinée, et fait pour le mieux dans le cadre que sa naissance lui offre. Cela n'empêche aucunement de viser la réussite familiale, sociale, et économique. Ce point explique en large partie une des incompréhensions majeures chez les Occidentaux qui ont pour habitude de dire que les hindous sont fatalistes. Cela n'est pas le cas, ceux-ci cherchent simplement à être réalistes.
  • Le Karma. Tout acte signifiant dans notre vie est porteur de karma (karma signifie acte, bon ou mauvais), Et les empreintes karmiques modèlent nos futures vies. Il faut préciser que les idées des Occidentaux sont basées sur le christianisme et se réincarne à l’identique du christ, soit en personne. Pas dans l’hindouisme ou seul le principe de conscience survit, se fonde dans le courant universel de vie et reprendra ultérieurement une nouvelle forme, se chargeant auparavant des graines karmiques (samskara) qui lui permettront de revivre une nouvelle expérience de vie en conséquence de ce qui a précédé. Il découle de cette vision des choses que chacun est responsable de lui-même et de ce qu'il fait au cours de sa vie.
  • La tolérance envers autrui. L'hindouisme est une religion des plus tolérante et le prosélytisme est interdit. Jésus est par exemple considéré par les hindous comme l'un des dix avatars principaux du dieu Vishnu. En tout état de cause, il est au moins vu comme un saint homme et un prophète habité par l'esprit.
  • La vénération des dieux. C'est-à-dire de la forme du Divin la plus proche du tempérament de chacun. Dans l'hindouisme, la création, la conservation, la transformation par la destruction correspondent à des fonctions divines qu'assument les Grands Dieux (ou Forces Divines) nommés respectivement Brahma, Vishnu et Shiva. Ces actes divins ne sont pas posés une fois pour toutes. Le processus est cyclique, mais de durée infiniment longue. La création n'est pas un acte ex nihilo. Entre deux cycles, l'univers se résorbe en Pralaya (eaux primordiales indifférenciées). Lorsque l'Univers parvient à se manifester, c'est par un processus qui va du plus subtil au grossier. Autrement dit, l'univers visible, matériel, n'est que la dernière étape. Bien qu'ils soient les Grands Dieux, Brahma, Vishnu et Shiva (la Trimora) ne constituent la Réalité Suprême que pour leurs fidèles respectifs (cela concerne surtout Vishnu et Shiva, car Brahma ne fait pas vraiment objet de culte).
  • Le respect des ancêtres. C’est ici un élément fondateur. L'enseignement est primordial, et ceux qui détiennent le savoir religieux sont l'objet de beaucoup d'égards de la part de tous les croyants.

Il y a officiellement 24 temples hindous a Singapour. D'autres religions sont issues de l’Inde et vous pourrez rencontrer des jains ou des sikhs (sept temples Néral). 

L'Islam.

Selon les statistiques du recensement de 2020, environ 15,6 % de la population singapourienne est musulmane , avec près de 99 % des malais (l'équivalent de 442 368 des 447 747 malais) qui représente pour 82% des musulmans dans le pays. En fait, sur la population musulmane globale de 15,6 % à Singapour, il existe une importante communauté musulmane indienne qui représente 13 % de la composition musulmane locale. Les 5 % restants sont également pratiqués par un certain nombre d’autres ethnies issues des communautés chinoise, sérani, arabe, siamoise et anglaise. Les musulmans malais suivent la tradition juridique sunnite shafi'i, la seule reconnu par les autorité du pays. 

Les mouvements chrétiens. 

Les mouvements chrétiens sont de plus en plus présents à Singapour, du fait des conversions. Si les catholiques sont bien représentés et reste l’idéologie la plus ancienne des églises chrétiennes présente dans le pays, les évangélistes sont plus nombreux (17) et reste la religion la plus dynamique du pays. A Singapour, il se trouve 30 églises catholiques, 20 écoles chrétiennes et de ces écoles, 17 sont de l'enseignement secondaire.

La culture chinoise. 

L’identité chinoise.

Elle est une réalité au pays, n'est plus a démontrer et il n'est pas exagéré de dire que Singapour, où les Chinois représentent près de 80 % de la population totale, entretient une relation « indissociable » avec la Chine depuis la naissance du pays. L'histoire de l'immigration des Singapouriens chinois a commencé du milieu du XIXème siècle et un grand nombre de Chinois vivant dans les provinces du Fujian, du Guangdong et de Hainan ont immigré à Singapour, y compris en Asie du Sud-Est (18). Il existe un nombre important de personnes capables de parler ou de comprendre le dialecte chinois utilisé par les immigrants. Celui-ci proche du dialecte de Pékin, s'appelle le Huayu. Outre les Singapouriens chinois de nationalité singapourienne, de nombreux immigrants chinois originaires de Chine vivent à Singapour. Si l'on estime grossièrement la population chinoise non singapourienne vivant à Singapour, hors Singapour, on peut dire que les « Chinois » résidant actuellement à Singapour avoisinent les 80 %. 

Bien que des données statistiques spécifiques n'aient pas été divulguées, si l'on examine les résidents permanents de Singapour par pays d'origine, on estime que les personnes originaires de Malaisie (de nombreux sino-malaisiens) et de Chine occupent les première et deuxième place. Bien que l'essence ait quelque peu changé en raison du phénomène de « nouvelle immigration » qui perdure depuis l'Antiquité, la relation traditionnelle entre la Chine, pays d'origine des immigrants depuis plus de cent ans, et Singapour, pays d'accueil, a été maintenue. En tant que tel, il est indéniable que la majorité de la population qui compose Singapour et le groupe qui « domine » Singapour à ce jour sont chinois. Ce flux d'immigration réaffirme le fait que les deux pays continuent d'entretenir des relations étroites l'un avec l'autre (19). La « Chine » exerce une influence directe et indirecte sur Singapour. 

C’est une vérité absolue (20). En outre, à l'heure actuelle, alors que la dynamique politique et économique a quelque peu changé en raison du développement économique de la Chine, son influence devrait se maintenir ou s'accroître. Pendant longtemps, Singapour a été le « modèle » de la Chine. En fait, la réforme et l'ouverture de Deng Xiaoping en 1978 ont été l'un des moteurs du développement économique et de l'envie de l'ouverture de Singapour (21), depuis lors, divers dirigeants d’origine chinoise, comme notre père fondateur l’honorable M. Lee Kuan Yew (22) ont promu la réforme et l'ouverture du pays en Asie. C’est donc Singapour, qui possède approximativement un peu plus de 0,4% de la population totale de la Chine et mesure la moitié de la taille du district de Pudong à Shanghai, qui a été utilisée comme « modèle » pour la Chine. Le « modèle de Singapour » a apporté à la Chine un soutien tacite, voire une confiance, dans son système politique ainsi que dans son économie. Ceci repose sur la conviction qu'un système politique dirigé par un « parti unique » peut servir de base au maintien et à la prolongation du pouvoir du Parti communiste chinois. De cette manière, l’efficacité du « capitalisme d’état autoritaire » de Singapour était très attractive pour les dirigeants chinois (23). 

Lee Kuan Yew, le « père de la nation », s'est rendu en Chine 33 fois depuis 1976, lorsqu'il dirigeait Singapour, et les relations entre Singapour et la Chine étaient assez étroites, le gouvernement de Singapour a accueilli le premier sommet entre la Chine et Taiwan en 1992 et est reconnu pour avoir réussi à réaliser le « Consensus 9.2 » conclu en 1992 entre le gouvernement communiste chinois et le gouvernement du Parti nationaliste de Taiwan (24). Là encore, les efforts du gouvernement de Singapour ont contribué au maintien des échanges mutuels entre la Chine et Taiwan ces 30 dernières années. À ce titre, les dirigeants chinois apprécient encore grandement le rôle de longue date qu’a joué M. Lee Kuan Yew en tant que médiateur dans les relations sino-taiwanaises (25). 

Au-delà de l’héritage. 

Comme je l’ai mentionnée précédemment, le gouvernement singapourien, où la population chinoise représente plus des trois quarts de la population totale, ne considère pas la Chine simplement comme le pays de ses ancêtres ou au sens numérique de la « majorité ». Le fait que plusieurs dirigeants singapouriens aient cherché à entretenir une relation privilégiée avec la Chine se reflète non seulement dans leurs relations diplomatiques mais aussi dans la transmission du modèle singapourien. Dans le même temps, la Chine aurait pu réaliser indirectement son rêve de relance économique grâce à une petite cité-État appelée « Singapour ». Ce « rêve chinois » se manifeste directement ou indirectement dans « l'utilisation de Singapour comme modèle ». Avant même que la montée en puissance de la Chine ne devienne visible, Singapour travaillait sur un projet de coopération avec le gouvernement chinois, ou plus précisément, de « transfert » de l'expérience de Singapour au gouvernement chinois. La volonté des deux gouvernements de construire un « modèle singapourien » en Chine est bien incarnée dans le parc industriel Chine-Singapour de Suzhou, qui a débuté au début des années 1990. Il n'est pas exagéré de dire que ce parc industriel sino-singapourien de Suzhou était un projet lancé pour tester l'efficacité et l'efficience de la méthode de développement économique de Singapour (26). En d’autres termes, les atouts du modèle singapourien, à savoir une gestion administrative efficace, une infrastructure de classe mondiale et un environnement commercial stable, ont été « transplantés » au gouvernement chinois par le biais de la coopération intergouvernementale. De nombreux experts économistes Singapouriens ont critiqué le gouvernement de Singapour pour ne pas avoir obtenu de résultats par rapport aux efforts et aux fonds qu'il a investis dans le transfert de sa technologie vers la Chine, mais Singapour, une très petite cité-État de moins de 6 millions d'habitants, est en concurrence avec la Chine. Il est devenu le moteur du maintien de relations économiques et diplomatiques relativement égales, et ce projet est devenu un « modèle » que de nombreux pays voulaient essayer avec la Chine. En d’autres termes, ce projet peut être considéré comme un exemple prouvant que la coopération intergouvernementale est une forme de nouvelle stratégie de développement. M. Zhuang Guotu (27) a déclaré que les dirigeants chinois devraient se renseigner sur les systèmes sociaux et les politiques économiques efficaces de Singapour, tels que la gouvernance, le logement, les soins de santé et l'aide sociale, sous le slogan « Apprendre de Singapour » et « bien gérer ». De là la mise en place progressive de la « démocratie intègre » ou « dictature bienveillante ». 

La relation Singapour-Chine, sa « particularité ».

M. Tony Tan, ex-président de Singapour, avait déclaré que les relations entre Singapour et la Chine étaient très étroites et spéciales et que les deux pays disposaient de possibilités infinies pour une nouvelle coopération. Cette relation « spéciale » entre les deux pays ne se retrouve pas seulement dans l'importante population chinoise, les immigrants ou la vision de Singapour de M. Lee Kuan Yew, mais est également envisagée par les Singapouriens d’aujourd'hui. La vérité est plus simple. Nous sommes comme dans une rue à double sens. Nous apprenons beaucoup de la Chine, et la Chine apprend beaucoup de nous. Il ne s’agit pas pour la Chine de nous rattraper, car je pense qu'ils rattrapent définitivement Singapour, puis elle la surpassera à bien des égards en raison de son talent et de ses ressources. 

Tony Tan avait laissé entendre que dans le passé, la Chine avait accepté et développé le modèle de Singapour pour fuir le modèle communiste impropre à une gestion nationale sur le long terme, en même temps qu’il avait prédit le potentiel de développement infini de la Chine, tout en mettant en avant la coopération entre Singapour et la Chine. Indéniablement, ces deux entités sont liés et Singapour est bien plus chinoise que malaise.

Embun DH.


Notes et références.

1 : il décéda 6 mois plus tôt. 

2 : https://www.singstat.gov.sg/find-data/search-by-theme/population/population-and-population-structure/latest-data 

3 : https://www.ceicdata.com/en/indicator/singapore/gdp-per-capita#:~:text=What%20was%20Singapore's%20GDP%20per,88%2C414.000%20USD%20in%20Dec%202022

4 : https://en.wikipedia.org/wiki/Four_Asian_Tigers 

5 : https://sso.agc.gov.sg/Act-Rev/PC1871/Published/20211231?DocDate=20081130 

6 : https://en.wikipedia.org/wiki/Race_in_Singapore 

7: Voir "Constitution of the Republic of Singapore". Attorney-General's Chambers of Singapore website. Part XIII Section 152(2) sur https://sso.agc.gov.sg/act/cons1963?ProvIds=P113-#pr152- 

8 : https://www.singstat.gov.sg/-/media/files/publications/cop2020/sr1/cop2020sr1.pdf 

9 : il s’agit d’un identifiant que possède les citoyens du pays et qui sert a plein de chose comme, par exemple ouvrir un compte bancaire, obtenir un passeport ou un permis de conduire. Voir : https://www.singpass.gov.sg/home/ui/login 

10 : mon propre père a abandonné sa nationalité française par déclaration pour obtenir la citoyenneté singapourienne. https://www.immigration.interieur.gouv.fr/fr/Integration-et-Acces-a-la-nationalite/La-nationalite-francaise/La-perte-volontaire-de-la-nationalite-francaise 

11 : J’ai personnellement, biologiquement en moi, 2/5 de sang caucasien, 2/5 de sang chinois (toutes ethnies confondues) et 1/5 de sang malais. Mais parents m’ont donc inscrit à la naissance comme chinoise, ce qui est plus logique que le statut de métisse ou d’eurasienne, à cause de ma face de paysanne du Guangxi. https://6611a6877e7c2.site123.me/blog/%E5%B1%A5%E5%8E%86%E7%89%87-l%C7%9A-l%C3%AC-pi%C3%A0n-curriculum-vitae-et-%C3%A0-propos 

12 : https://www.guidemesingapore.com/business-guides/immigration/citizenship/singapore-citizenship---benefits-and-drawbacks 

13 : https://www.pewresearch.org/religion/2014/04/04/global-religious-diversity/ 

14 : https://iro.sg/about-iro/ 

À l'exception du christianisme, les autres religions de Singapour sont fondées par l’état sur la race. Par conséquent, le gouvernement de Singapour estime que la multiethnicité conduit à la multi-religion, que les conflits raciaux approfondiront les fossés religieux et que l'harmonie raciale peut promouvoir l'harmonie religieuse. Le gouvernement a désigné le 21 juillet de chaque année comme Journée de l'harmonie raciale et a adopté le « Projet de loi sur la conférence multiraciale » en janvier 1988, préconisant officiellement l'établissement d'une société multiraciale, multiculturelle et multireligieuse, et cela sert de base pour la justice et la stabilité, c'est-à-dire la mise en œuvre d'une politique raciale pluraliste et intégrée pour maintenir l'harmonie et l’équilibre raciale. Concrètement, le gouvernement singapourien reconnaît l'existence de races multiples et accorde un statut égal à chaque race, mais il met également l'accent sur l'existence de plusieurs races dans la « nation singapourienne ». Depuis longtemps, le gouvernement singapourien considère la promotion de l'harmonie raciale comme un élément important et un objectif fondamental du travail gouvernemental. Selon une enquête menée par des universitaires singapouriens, tous les Chinois, Malais et Indiens se considèrent comme Singapouriens. 

15 : https://www.theatlantic.com/news/archive/2016/09/singapore-blogger-religious/502262/ 

La « Loi sur le maintien de l'harmonie religieuse », formulée en 1990, fournit des lignes directrices pour la gestion de la religion. Ses principaux contenus sont les suivants : 

  • Respecter et maintenir les caractéristiques de chaque religion mise en œuvre, promouvoir l'égalité, le respect mutuel et l'harmonie. 
  • Coexistence de toutes les religions, afin que la culture traditionnelle de chaque religion ait un espace libre pour se développer. 
  • Ce projet de loi prévoit des dispositions strictes et délimite les relations entre la religion et la politique, entre les religions, au sein des religions et entre la religion et la société. 
  • Un organe faisant autorité a été créé : le « Conseil présidentiel pour l'harmonie religieuse », dont la fonction est « d'examiner et de faire rapport au ministre de l'Intérieur sur les questions qui sont soumises au Conseil par le ministre de l'Intérieur ou le Parlement et qui affectent l'harmonie religieuse » à Singapour. 
  • Donner au ministre de l'Intérieur le pouvoir d'émettre une ordonnance d'interdiction s'il détermine que des membres d'un groupe ou d'une institution religieuse, des prêtres, des moines, des imams, etc. ont commis ou tenté de commettre ce qui suit actes : « provoquer l'hostilité, la haine ou la mauvaise volonté entre différents groupes religieux ; Propagande et croyance en une religion pour mener des activités visant à promouvoir des causes politiques ou des causes de partis politiques pour stimuler le mécontentement à l'égard du président ou du président ; gouvernement de Singapour, et il s'avère que certaines personnes tentent d'utiliser la religion pour mettre en danger la sécurité sociale, l'harmonie raciale et religieuse ». Une ordonnance d'interdiction peut être émise pour restreindre les paroles et les actions de la personne. Peut être puni par le tribunal de district d'une peine d'emprisonnement ne dépassant pas 2 ans et d'une amende ne dépassant pas 10 000$. Les récidivistes peuvent être condamnés à une peine de prison ne dépassant pas 3 ans et à une amende ne dépassant pas 20 000$. 
  • L’« Harmony Act » établit un mécanisme qui sert d'avertissement et de prévention et favorise l'harmonie religieuse à Singapour.

Au cours des 15 années qui ont suivi la promulgation de la loi, aucune ordonnance d'interdiction n'a été émise et seuls deux avertissements ont été émis.  En vertu des lois religieuses harmonieuses, les cercles religieux de Singapour s'engagent dans des affaires religieuses et mènent des activités religieuses consciemment dans le cadre des lois nationales, avec une gestion stricte et des opérations standardisées. Toutes les religions et tous les lieux d'activités religieuses à Singapour doivent demander leur enregistrement auprès du Bureau d'enregistrement des sociétés du ministère de l'Intérieur et mener des activités conformément à la charte. 

16 : https://www.channelnewsasia.com/singapore/census-2020-more-residents-no-religion-1966701 

17 : l’auteure de cet article est elle-même une pratiquante chrétienne baptiste. Pour en connaitre plus sur les chrétiens au pays : https://www.sgplanking.com/article/764850 

18 : la Malaisie, pays officiellement malais et musulman possède par exemple une forte communauté chinoise chrétienne ou confucéenne, où les sino-malaisiens forme plus de 26% de la population. Lire "Encyclopedia of Malaysia. Languages and Literature" du professeur Asmah H. Omar aux éditions Didier Millet, 2004, (ISBN 981-3018-52-6). 

19 : un exemple parmi tant d’autres. https://www.ica.gov.sg/news-and-publications/newsroom/media-release/mutual-30-day-visa-exemption-arrangement-between-singapore-and-the-people-s-republic-of-china 

20 : bien que l’anglais soit la langue officielle de la communication gouvernementale et dans la vie de tous les jours entre citoyens parlant des langues maternelles différentes, le chinois reste la langue courante au travail et dans la rue. Tous les Singapouriens sont au minimum bilingues (leur langue maternelle et l’anglais), mais être trilingue (langue maternelle + l’anglais + le chinois pékinois moderne) est essentiel pour avoir une vie sociale élargie et devenir cadre dans une entreprise. Ce qui est vrai aussi du coté malaisien. 

21 : https://thediplomat.com/2023/12/looking-back-on-deng-xiaopings-landmark-visit-to-singapore/ 

22 : https://en.wikipedia.org/wiki/Lee_Kuan_Yew 

23 : pour ceux qui l’ignorent, Singapour n’est pas une démocratie et nous le vivons très bien. La démocratie est un concept occidental qui puise ses sources dans la Grèce antique. Ce n’est ni une modèle civilisationnel exportable, ni même un système politique non contraignant comme beaucoup en dehors de l’occident le pense. Par exemple, prenons ce que les occidentaux appels avec fierté, la liberté d’expression. C’est tout au plus un art subtil de censure, où se mélange autorisation temporaire, contraintes juridiques sur fond d'apologies diverses, de luttes polarisées et ou les nombreuses interdictions de la libre expression, justement, sont teintés d’explications sous couvert d’activisme et de justice et où finalement la liberté d'expression est réduite à ce qui est autorisé. Comme dans un régime non démocratique. 

24 : https://en.wikipedia.org/wiki/1992_Consensus 

25 : https://www.globaltimes.cn/page/202107/1228843.shtml 

26 : https://en.wikipedia.org/wiki/Suzhou_Industrial_Park?oldid=1170864054 

27 : M. Zhuang Guotu est le directeur du Centre d'études sur l'Asie du Sud-Est de l'Université de Xiamen.


Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.
CE SITE A ÉTÉ CONSTRUIT EN UTILISANT